La mémoire du poète
Dans la Grèce des rois mycéniens et homériques,
civilisation fondée non sur l’écriture mais sur les
traditions orales, le poète est le gardien de la mémoire
collective. Les Muses, filles de la déesse Mémoire, inspirent
ses chants et développent ses souvenirs : la parole
du poète est une
parole divine et sa mémoire est sacralisée.
Dans cette civilisation orale,
la mémoire possède
un statut religieux. La mémoire du poète, développée
et dressée par des exercices de mnémotechnie, devient
alors une omniscience de caractère divinatoire : elle chante "ce
qui est, ce qui sera, ce qui fut" (Hésiode, Théogonie,
32 et 38), révélant
ainsi la
vérité.
Dès lors, le poète
est non seulement le servant des Muses mais également un
fonctionnaire
de la souveraineté : "Chaque souverain a son poète
qui compose pour lui l’hymne harmonieux, récompense de sa
vertu" (Pindare, Pythiques, II, 13 - 14).
Célèbrant l’Histoire des dieux et des rois, le
poète, au service de la communauté des
guerriers, devient aussi arbitre suprême : il chante la bravoure
et les exploits des nobles combattants, décide
de leur valeur et de leur dignité. La louange guerrière,
par la voix du poète, immortalise
la gloire, symbole d’une grâce divine, qui transfigure le
vainqueur : par la puissance de ses paroles, il fait d’un simple
mortel "l’égal d’un roi" (Pindare, Néméennes,
IV, 83 - 84) ; seul, il accorde ou refuse la
mémoire.
La mémoire
du poète, mémoire divine, s’érige
en puissance de vie face à l’oubli ou au silence, puissances
de mort. La Mémoire, mère des Muses, transforme ainsi le poète
en "Maître de Vérité" : la vérité poétique,
parole des Muses, est en fait une vérité assertorique, incontestable
et indémontrable.
Bibliographie sélective :
Marcel DETIENNE, Les
Maîtres de
vérité dans la Grèce archaïque, Editions
La découverte, Paris, 1967 et réed.
François LASSERRE, La condition du poète dans la Grèce
antique, Etudes de Lettres, t. V, Lausanne, 1962.
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